Damas, ville de 4000 ans réputés pour sa diversité ethno-confessionnelle et son ouverture culturelle subit de nouveau des bouleversements et un changement de gouvernement amorcé depuis la chute du régime bathiste. La dynastie Assad de 55 ans a été mise à l’écart après 13 ans de guerres civiles. Une dynastie qui a su stabiliser l’équilibre des forces communautaires et politiques au sein de la nation syrienne, mais non sans mal et non sans reproche. Cet évènement entraîne des conséquences sur le plan géopolitique et de politique intérieur avec des incertitudes à l’avenir.
Les différentes oppositions politiques, idéologiques et militaires bénéficient de différents soutiens dans leur combat respectif.
Les oppositions au régime syrien sont diverses et hétéroclites, tous ne s’entendent pas et n’ont pas les mêmes aspirations politiques, mais celle qui en est sortie victorieux à Damas ne rassure pas. L’opposition syrienne est composée de plusieurs groupes qui varient en termes d’idéologie, de structure, et de soutien international. Il faut distinguer les groupes laïcs et islamistes. Voici un aperçu des principaux groupes de l’opposition syrienne, qui peuvent être divisés en fonction de leur orientation idéologique, géographique, et militaire.
Les groupes laïcs de revendication nationalistes et démocratiques sont les plus variés idéologiquement et ethniquement, elles sont à la fois politiques comme le CNS et le FDS et militaire comme l’ASL.
La Coalition Nationale Syrienne (CNS) a été fondée officiellement en 2012 (bien que ses prémices datent de 2011) pour représenter l’opposition syrienne auprès des institutions internationales. Elle a été reconnue par les pays membres de l’Otan comme le représentant légitime du peuple syrien. Elle regroupe des partis laïques et des personnalités politiques qui essaye de représenter la société civile dans son ensemble (religieux modéré de toute communauté comprise), c’est la 1ere opposition lors des premiers soulèvements.
L’Armée syrienne libre (ASL) est formée dès les premiers mois du conflit par des déserteurs de l’armée syrienne et de volontaires. Bien qu’ayant une large base de soutien parmi les groupes d’opposition, l’ASL a souffert d’un manque de ressource et de cohésion lié à sa diversité idéologique. Son but est de renverser le régime de Bachar al-Assad. Bien que laïc et nationaliste elle compte des islamistes modérés dans ses rangs. Elle bénéficie du soutien de l’Otan, des pays Arabes du golfe et de la Turquie.
Les Forces Démocratiques Syriennes (FDS, PYD) sont une Coalition militaire kurdo-arabe incluant majoritairement les Unités de protection du peuple kurde (YPG) puis d’autres groupes arabes et assyriens. Elles ont été un acteur majeur dans la lutte contre l’État islamique (EI) et ont contrôlé une grande partie du nord-est de la Syrie. Leurs principes se posent sur la pluralité religieuse, les réformes sociales, et l’autonomie du peuple kurde. Bien que soutenu par les États-Unis et l’Union européenne, elle a des tensions avec la Turquie. Cette dernière considère que les opposants kurdes au président turc Erdogan utilisent la Syrie comme base arrière et accuse le FDS de complicité avec leurs opposants.
Bien que les revendications de ces groupes soient légitimes face à une dictature de plusieurs décennies qui fut préservée par notre oligarchie occidentale lorsque cela les arrangeait et qui a résulté d’une corruption généralisée, nous pouvons toutefois nous poser la question sur le réel objectif des soutiens de l’Otan piloté par la ligne néoconservatrice.
Nous n’oublions pas les exemples de conflit dans lesquels ce groupe militaire a été impliqué tel que l’Irak, la Lybie ou l’Afghanistan qui s’est terminé à chaque fois par l’obscurantisme religieux et un recul du niveau de développement. Et le profil des groupes de coalition suivants qui a fortement contribué à la chute du régime baathiste n’est pas rassurants sur le sort de la Syrie.
Le Front al-Nosra (chère à Laurent Fabius) devenu Hayat Tahrir al-Sham (HTS) en 2016 qui est un groupe islamiste radical et auquel le nouveau leader syrien Al Joulani est membre. Initialement une branche d’Al-Qaïda en Syrie, celle-ci s’en est dissocié. Ce groupe est considéré comme un acteur clé dans la guerre contre le régime syrien, et exerce une influence importante dans les zones de la province d’Idlib dont le sort des chrétiens assyriens et chaldéens n’a pas été rassurant. Elle a bénéficié du soutien de groupes jihadistes internationaux dans un premier temps, mais a aussi eu des relations tendues avec certains autres groupes de l’opposition. L’Otan a volontairement fermé les yeux en voulant donné une priorité à la lutte contre Assad quel que soit le résultat à venir.
Les autres groupes (Ahrar al-Sham, Liwa al-Sham, Jaish al-Fatah) plus modérés se sont retrouvés en concurrence avec le HTC. Celle-ci est soutenue de façon plus assumée parla Turquie et d’autres pays de la région. Ces groupes sont plus ouverts à une alliance avec les autres groupes d’opposition plus laïcs et des opposants d’autres confessions.
Les Islamistes salafistes de Jaish al-Islam ou de Suqour al-Sham sont des groupes armés revendiquant un fondamentalisme issu de l’islam salafiste et sont soutenus régionalement par l’Arabie Saoudite et le Qatar. Elle se situe dans le Ghouta près de Damas. En fonction des soutiens extérieur, tous ne s’apprécient pas et tous n’apprécient pas le HTC ou les groupes laïques tel que FDS.
Ainsi, ces groupes fondamentalistes religieux ne sont pas les plus rassurants pour la diversité ethnico-confessionnel en Syrie. L’Otan, l’Union européenne et l’Etat israélien qui ont initié la chute du régime syrien, s’inquiètent sur la présence, pourtant si prévisible, de ces groupes radicaux au sein de l’opposition et du nouveau gouvernement à venir au vu de l’évolution géopolitique que la chute du régime peut entrainer.
La chute du régime syrien redistribue les cartes géopolitiques avec des nouveaux gagnants et perdants dans cette nouvelle donne.
Au niveau régional, la Turquie vers le Nord qui est impliquée dans la montée de l’armée syrienne libre et qui souhaite reconquérir Alep perdu depuis le traité de Versailles pour en faire leur 82e province. Ils ont aussi l’occasion d’affaiblir les divers groupes opposants Kurdes (FDS, YPG) dans les régions du Nord de la Syrie qu’ils considèrent comme leur base arrière.
Pour Israël, c’est une opportunité d’assimiler le Golan à leur territoire qu’ils occupent militairement mais aussi de couper le ravitaillement du Hezb’[m]ollah qui passait par Homs.
L’Arabie Saoudite voit son adversaire iranien affaibli, ce dernier étant le grand perdant avec ses proxys (Hamas, Houthis, Hezb’[m]ollah). La Syrie des Assad leur était loyal et le territoire syrien était un point géographique central important pour tout leur groupe de proxy surnommé l’Axe de la résistance par le régime iranien. Les pays du golf avec le royaume saoudien en tête ont l’opportunité d’accroitre leur influence au détriment de l’arc chiite.
La Russie qui a soutenu le régime et incluait la Syrie dans son plan pour le Moyen-Orient est dans l’obligation de renégocier cette transition gouvernementale pour éviter que sa présence dans la région soit remise en cause et limiter le renforcement de l’influence de l’Otan au Proche-Orient.
Quant aux Etats-Unis, si Biden salue la chute de Bachar Al-Assad et prônait l’interventionnisme face à l’islamisme pour éviter le pire, Trump appelle à une approche moins interventionniste à ce jour. La Maison blanche espère un gouvernement plus en phase avec leurs intérêts et une monté de l’influence américaine dans la région. Il est important de rappeler que cette monté de l’islamisme dans la région est la conséquence de leurs actions de déstabilisation des régimes panarabistes en Irak et en Syrie.
Bien entendu, tous ces acteurs gagnants n’auront pas les mêmes intérêts à l’avenir ce qui pourrait crée de nouvelles rivalités et empêcher la stabilité régionale. L’implication des puissances étrangères dans les différents groupes d’opposition ne nous permet pas d’affirmer avec certitude d’aborder l’avenir de la région syrienne avec sérénité.
Conclusion
Ainsi l’opposition syrienne est très fragmentée et comprend un éventail de groupes allant des forces laïques aux islamistes modérés et radicaux, et jusqu’aux groupes politiques (FDS) et militaires kurdes (PYD). De nombreux facteurs, comme les divergences idéologiques, l’implication des puissances étrangères et les rivalités internes, ont contribué à une situation complexe et difficile à résoudre politiquement.
Nous pouvons comprendre les aspirations du peuple syrien qui a vécu dans la peur durant le mandat des Assad qui commença en 1970. Nous pouvons pointer la responsabilité du régime qui a été gangréné par la corruption économique et judiciaire et qui a régné par la terreur et qui a manqué l’opportunité de réformé le pays après que la Russie ait réussi à maintenir le régime qui était au bord de la chute. Il faut rappeler que du temps de Hafez El Assad, le régime a reçu la bénédiction de la Maison blanche et de l’Union européenne au détriment du Liban occupée par la Syrie jusqu’en 2005 et de l’Irak de Saddam Hussein durant la 1ere guerre du Golfe.
Il est nécessaire de comprendre les souffrances du peuple syrien pendant 13 ans de guerre civile et d’embargo pour comprendre leur réjouissance de la chute du régime et leur volonté de croire à un meilleur avenir.
Cependant il faut également comprendre la peur concernant l’avenir à laquelle les Syriens sont confrontés au vu du profil de certains dit libérateurs. Lorsqu’on connait le profil des opposants du Hayat Tahrir Al-Sham (HTS) anciennement Al-Nosra et des implications de puissances étrangères depuis 13 ans qui ont amené à ce coup d’Etat. Nous nous devons de ne pas être naïf et comprendre aussi les inquiétudes concernant l’avenir du peuple syrien et notre souhait de ne pas voir la Syrie sombrer dans l’obscurantisme, l’insécurité et la terreur comme cela a été le cas pour l’Irak, la Lybie ou l’Afghanistan. Nous espérons cette fois-ci nous tromper sur nos inquiétudes. Ainsi, il est important de prier pour la communauté chrétienne de Syrie, les autres communautés exposer au potentiel danger (alaouites, ismaélites, druzes et kurdes), et le peuple syrien dans son ensemble.
Saker du Mont d’Or