Le roi Henri III vient de mourir, tué par le moine Jacques Clément. Son successeur, le roi de Navarre, plus connu sous le nom d’Henri IV, ne fait pas l’unanimité dans son entourage & la route du trône risque d’être rude, mais une première victoire à Arques lui donna de l’ardeur & du soutien.
- Marchons sur Paris
Une première victoire venait d’être remportée & quelle victoire, mais Paris restait l’objectif.
Renforcé des contingents Anglo-écossais, ainsi que des troupes levées en Picardie & en Champagne, Henri de Navarre tenta de prendre Mayenne de vitesse & traversa Mantes, Saint-Cloud, Meudon, Montrouge, Gentilly, Issy, pour atteindre la plaine de Grenelle.
Les Seize paniqués, ayant annoncé la défaite du « bâtard d’Albret », les milices bourgeoises se ressaisirent.
Henri IV qui avait couché à Saint-Germain, divisa son armée en trois corps : Biron devait attaquer par les faubourgs Saint-Marcel & Saint-Victor ; Aumont, par les faubourgs Saint-Jacques & Saint-Michel & Châtillon & La Noüe, par le faubourg Saint-Germain.
Le 1e novembre, les royaux se livrèrent au pillage & se heurtèrent aux buttes bastionnées derrière lesquels les milices s’étaient retranchées. Henri IV recru de fatigue, avait interdit fermement de molester les habitants, de ne pas piller les églises & de respecter la solennité de la Toussaint.
Le lendemain, il monta dans les tours de Saint-Germain-des-Prés, d’où il embrassait la ville qui se préparait à lui faire face, en redescendant, il eut une frayeur, en réalisant qu’il était seul avec un moine bénédictin & frissonna à l’idée d’un nouveau Jacques Clément.
Portrait de Charles, duc de Mayenne (1554-1611), huile sur panneau de bois, auteur inconnu, vers 1580, château de Versailles.
Au moment de donner l’assaut, Henri IV apprit que Mayenne avait traversé l’Oise à Pont-Sainte-Maxence, seul lieu où ses artificiers n’avaient pas détruit le pont. Il décida donc de faire retraite & de reporter l’assaut à plus tard, il lui fallait prendre ses quartiers d’hiver au Sud de la Loire.
Ce n’était que partie remise.
- Quartiers d’hiver
Après avoir pris Janville & Châteaudun, le 18, il se lança sur Vendôme, une brèche pratiquée dans les murs permit à un détachement d’ouvrir la porte du Pont-Neuf & les combats furent rudes. Furieux de cette résistance, le roi autorisa le pillage de la ville & fit incendier l’église des cordeliers, siège des séditieux & fit pendre le meneur Robert Chessé, qui avait appelé au régicide, ainsi que décapiter Jacques de Maillé-Bénéhart, lieutenant général en Bretagne & gouverneur du Vendômois pour la Ligue. Celui-ci s’était jeté aux pieds du maréchal de Biron en implorant sa grâce, qui lui répondit : « Vous êtes indigne de vivre, puisque vous n’aviez pas assez de courage pour défendre, ni assez de prudence pour capituler. » Pendant ce temps, Henri IV alla se recueillir sur la tombe de ses ancêtres à la collégiale Saint-Georges.
Arrivé à Tours le 21, il organisa ses chevauchées pour « nettoyer la Touraine, l’Anjou & le Maine ». Au Mans, dont les remparts & fossés d’un autre temps rendirent vaine toute résistance, les ligueurs se rendirent au bout de cinq jours. A Laval, le clergé flatté de voir leur souverain bien qu’huguenot, se porta à sa rencontre, paré de leurs plus belles chasubles, dalmatiques & étoles galonnées & frangées d’or, l’arrêtant une heure durant aux portes de la ville, pour entonner des cantiques & sous les applaudissements du peuple.
Malgré la pluie, le froid, la fatigue, la faim, les privations & les mauvais chemins, il ne perdit pas son ardeur & avança sur Alençon, Argentan & Falaise.
Écrivant à sa chère Corisande, qui n’ignorait pas ses trahisons amoureuses, il dit : « Mon cœur, Dieu me continue ses bénédictions comme il a fait jusqu’ici. J’ai pris cette place de Lisieux sans tirer le canon que par moquerie, où il y avait mille soldats & cents gentilhommes. C’est la plus forte que j’ai réduite en mon obéissance & la plus utile, car j’en tirerai soixante mille écus. Je vis bien à la huguenote, car j’entretiens dix mille étrangers & ma maison de ce que j’acquiers chaque jour. Et vous dirai que Dieu me bénit tellement qu’il n’y a peu ou point de maladies en mon armée, qui augmente de jour en jour. Jamais je ne fus si sain, jamais vous aimant plus que je fais. »
Honfleur, fière ligueuse, ne se rendit qu’après avoir bien tiré au canon & à l’arquebuse ; Biron lui prit Évreux & des places voisines.
Pendant ce temps, Mayenne, poussé par les Seize & la duchesse de Montpensier, s’empara de Vincennes, Pontoise & Poissy.
Les troupes royales reprirent Poissy à sa barbe & le contraignirent vite à décamper des abords de Meulan. Après avoir reçu des renforts du gouverneur des Pays-Bas espagnols, il décida d’affronter à nouveau Henri IV, celui-ci ayant décidé d’investir Dreux, remit à plus tard & regroupa ses troupes à Nonancourt ; croyant à une retraite, Mayenne traversa l’Eure à Ivry.
- Ivry
Le 13 mars, il prit la tête de ses troupes, forte de huit mille hommes de pied & deux mille cinq cent cavaliers, établissant son quartier général à Foucrainville. A sa gauche, il plaça trois cents chevaux du maréchal d’Aumont, flanqué de deux régiments d’infanterie, de quatre gros canons & deux couleuvrines. Vint ensuite l’escadron du duc de Montpensier, encadré par cinq cent lansquenets & autant de Suisses. Celui du roi, composé de six cent gendarmes & de volontaires occupait l’aile droite, tous deux appuyés par les régiments des gardes suisses & françaises ; à l’avant, Charles de Valois-Angoulême & ses quatre cent chevau-léger & à l’arrière, le maréchal de Biron & la réserve.
Le lendemain matin, il fit pivoter son armée en gardant les mêmes dispositions, de façon à éviter d’avoir le soleil & les fumées dans les yeux.
C’est alors que les troupes ennemies s’étalèrent sur toute leurs longueurs, plus de dix mille fantassins & cinq mille cavaliers.
Le roi harangua ses troupes : « Mes compagnons, si vous courez aujourd’hui ma fortune, je cours aussi la vôtre. Je veux vaincre ou mourir avec vous. Dieu est pour nous. Voici mes ennemis & les nôtres. Voici votre roi. Gardez bien vos rangs, je vous prie. Si la chaleur du combat vous le fait quitter, pensez aussitôt au ralliement. C’est le gain de la bataille. Vous le ferez entre ces trois arbres que vous voyez là-haut à main droite. Si vous perdez vos enseignes, cornettes ou guidons, ne perdez point de vue mon panache ; vous le trouverez toujours au chemin de l’honneur & de la victoire. »
Le panache blanc entrait en scène.
Henri IV, roi de France, à la fin de la bataille d’Ivry, livré le 14 mars 1590 entre l’armée royale de France & l’armée de la Ligue catholique & d’Espagne, peinture, Charles de Steuben, entre 1838 & 1842, Musée de l’Histoire de France au château de Versailles.
Vers dix heures, après une canonnade des royaux, le duc de Mayenne engagea le combat avec succès, les reîtres culbutèrent les chevau-légers du roi, tandis que trois escadrons de la Ligues poussèrent Aumont. La contre-offensive de Montpensier & Biron fut repoussée par les Wallons. Henri IV se lança dans la mêlée afin d’empêcher le déploiement des lanciers, Mayenne envoya sa réserve de cavalerie.
La confusion était extrême, les ligueurs semblaient en passe de gagner. Charles de Rambures sauva in extremis le roi des lanciers, celui-ci s’en souviendra.
Sans faiblir, le roi se lança à nouveau contre les lances « Tournez visage, afin que si vous ne voulez combattre vous me voyiez du moins mourir. » dit-il.
Il fut suivi vaillamment, un moment et fut aperçu poursuivant huitante cavaliers avec vingt seulement.
En quelques minutes, la situation se renversa au profit des royaux, prise de panique, la cavalerie ligueuse se replia, abandonnant l’infanterie, les Suisses de Mayenne se rendirent, le roi leur fit grâce, mais fit tailler en pièce les lansquenets pour leur traîtrise à Arques.
Le reste des ligueurs se dispersa, abandonnant ses bagages, le comte d’Egmont perdit la vie, Mayenne, Nemours & Aumale s’enfuirent, laissant près de trois mille morts, sans compter les noyés dans l’Eure.
Une quarantaine de drapeaux sont pris, le plus beau trophée étant celui de la Ligue, qui fut appendu dans l’église principale de Mantes.
Rosny, aussi connu sous le nom de Sully, blessé à quatre reprises, d’abord adossé à un poirier, s’est fait hisser par un valet sur un cheval courtaud, afin de gagner le château d’Anet pour panser ses blessures, il vit venir sur lui sept ennemis désemparés, qui se rendirent à lui.
Le roi écrivit au duc de Longueville : « Mon cousin, nous avons à louer Dieu : il nous a donné une belle victoire. La bataille s’est donnée, les choses ont été en branle. Dieu a déterminé selon son équité ; toute l’armée ennemie en déroute, l’infanterie tant étrangère que française rendue, les reîtres pour la plupart défaits, les Bourguignons bien écartés, la cornette blanche & le canon pris, la poursuite jusqu’aux portes de Mantes. Je puis dire que j’ai été bien servi […]. Pour ce qui est d’user de la victoire, je vous prie incontinent, la présente reçue, de vous avancer avec toutes vos forces sur la rivière de Seine, vers Pontoise ou Meulan ou tel autre lieu que vous jugerez propre pour vous joindre à moi ; & croyez, mon cousin, que c’est la paix de ce royaume & la ruine de la Ligue à laquelle il faut convier tous les bons Français à courir sus… »
Rosny, soigné de ses blessures, passa en litière & aperçu sur le coteau de Beuvron, des cavaliers entourés de chiens, le vainqueur d’Ivry partait à la chasse.
Une nouvelle victoire le rapprochait du trône…
- Petitfils, Jean-Christian, Henri IV, Perrin, un département de Place des Éditeurs, Paris, 2021.