En août 1589, commença l’une des plus grandes épopées guerrières de l’Histoire de France, comme nous n’en avions pas vu depuis un siècle.
- Contexte
Un lundi matin, vers sept heures, un homme en bure, entra dans la chambre du roi avec un billet du président de Harlay, président au Parlement. Cet homme souhaite dire un mot en particulier au roi, alors le procureur & le premier gentilhomme de la Chambre s’écartent par discrétion & soudain, de sous sa bure, l’homme sortit un couteau & frappa le roi au bas-ventre « Ah ! Méchant, tu m’as tué ! » dit celui-ci ; de nombreux hommes se précipitèrent sur l’assassin & le tuèrent.
Le roi, transporté sur son lit, examiné par les médecins, qui ne purent que constater la fin prochaine. Le roi de Navarre, apprenant la nouvelle, accouru au chevet du mourant, qui lui dit : « Mon frère, vous voyez comme vos ennemis & les miens m’ont traité. Il faut que vous preniez garde qu’ils ne vous en fassent autant. […] La justice de laquelle j’ai toujours été le procurateur, veut que vous succédiez après moi à ce royaume, dans lequel vous aurez beaucoup de traverses si vous ne vous résolvez pas à changer de religion. Je vous y exhorte autant pour le salut de votre âme que pour l’avantage du bien que je vous souhaite. », puis le roi appela ses proches & dit : « Je vous prie comme mes amis & vous ordonne comme votre roi que vous reconnaissiez après ma mort mon frère que voilà & que, pour ma satisfaction & votre propre devoir, vous lui prêtiez le serment en ma présence. » Le roi expira le lendemain, vers deux heures.
Assassinat du roi Henri III par le moine Jacques Clément, estampe, Frans Hogenberg, xvie siècle, département des Estampes & Photographie de la Bibliothèque nationale de France.
L’homme en bure, se nommait Jacques Clément, la victime se nommait Henri III, roi de France, le roi de Navarre, est connu sous le nom d’Henri IV, dit « le Vert Galant ».
Ainsi débuta une épopée historique qui durera quarante & trois mois.
- Deuil noir & situation délicate
À peine le nouveau roi entra-t-il dans la chambre du défunt, qu’il reçut les mines atrabilaires, les crispations & les propos ravalés. Il ne faisait guère l’unanimité parmi les familiers du feu roi, car comment pourraient-ils suivre un huguenot sur le chemin qui mène au trône de Saint Louis ?
Une délégation conduite par le marquis d’O, se présenta à lui, d’un ton ferme, il exhorta le roi à considérer le fait de religion « Le sacre & le couronnement sont les arrhes & les marques des rois de France. » martela-t-il. En somme, il devait embrasser la foi, ou tout du moins, consigner la promesse de se faire instruire rapidement en celle-ci, sinon, il se verrait contraint de fuir « le bonheur & l’excellente condition d’un roi de France, pour les misères d’un roi de Navarre ».
Le roi, ravalant sa colère, répondit : « Parmi les évènements desquels Dieu nous a exercé depuis vingt heures, j’en reçois un de vous, Messieurs, que je n’eusse pas attendu. Les prières de votre roi sont-elles évanouies avec la révérence qu’on doit aux paroles d’un mourant ? Me prendre à la gorge sur le premier pas de mon avènement, à une heure si dangereuse ! … Auriez-vous plus agréable un roi sans Dieu, un parjure & un apostat ? Le roi de Navarre, comme vous dites, peut-il se dépouiller l’âme & le cœur à l’entrée de la royauté ? Ceux qui ne pourront prendre une plus mûre délibération, je leur donne congé librement… J’aurai parmi les catholiques ceux qui aiment la France & l’honneur. »
Ainsi commença un règne qui ne s’annonçait pas sous les meilleurs hospices.
Cependant, quelques officiers voulurent lui prêter leurs épées.
Mais il comprenait bien le cruel dilemme qui se présenta à lui.
S’il n’abjurait pas, le royaume ne serait guère aisé à conquérir, voir même impossible, s’il abjurait sur l’instant, il perdrait le soutien des huguenots, mais ne gagnerait pas pour autant celui des ligueurs, qui ne verraient qu’une énième conversion insincère & les portes des villes de France lui resteraient clauses. Mais aussi, qu’en serait-il de l’appui d’Élisabeth d’Angleterre & des princes allemands ? Aurait-il bénéficié du soutien de la papauté & de l’Espagne ?
Henri IV de France, peinture, auteur inconnu, vers 1590, lieu inconnu
Le 4 août, il crut résoudre la quadrature du cercle en énonçant deux engagements : le premier, maintenir la religion catholique « sans y innover ou changer aucune chose », celle-ci continuerait à être exercée dans les lieux où elle l’était jusqu’à la tenue des états généraux, qui seraient assemblés dans les six mois ; ainsi que d’être instruit dans la dite religion « par un bon & légitime concile général & national ». La nature de ce concile n’était pas précisée, mais il était sans doute une sorte d’édit de pacification, & cela lui permettait de différer sa conversion, tout en ménageant ses coreligionnaires. Le second engagement, était de maintenir les princes, ducs, pairs, officiers de la Couronne, gentilhommes, ainsi que tous les bons & obéissants sujets, « dans leurs biens, charges, dignités, états, privilèges, honneurs & prérogatives accoutumées ». Cet engagement lui permettait de se concilier les Grands, dans une sorte de Magna Carta.
Cette déclaration, fut durement négociée & signée par les Grands, hélas, quelques-uns n’étaient pas satisfait & on fait défection. Le roi avait une faible marge de manœuvre & le moindre faux pas, risquait de faire couler l’expédition.
L’armée royale, était réduite de moitié & ne comptait plus que 18 000 hommes, rendant impossible la poursuite du siège de Paris. Il décida donc de les rassembler à Beaumont-sur-Oise & de renvoyer les gentilhommes dans leurs castels, pour ne garder auprès de lui que les plus aguerris, moins coûteux à entretenir.
Sur le plan diplomatique, il reçut le soutien de l’Angleterre, de l’Écosse, des princes allemands, des Provinces-Unies & de la Sérénissime République, mais devait faire face à la Ligue, à l’Espagne, à la Savoie & au Pape.
Sur le plan intérieur, un sixième du royaume s’était rallié à lui, bien moins que son prédécesseur, le roi de Bourges. Outre le Sud-Ouest, moins Bordeaux ayant gardé une position attentiste, les villes de Tours, Saumur, Dieppe, Caen, Compiègne, Château-Thierry, Clermont & Langres, le roi faisait contre mauvaise fortune, bon cœur & par une autodérision s’esclaffait « Roi sans royaume, général sans argent, mari sans femme ! »
Du côté de la Ligue, le duc de Mayenne ne bénéficiait pas de l’aura de son défunt frère le Balafré, mais il parvint à maintenir son influence sur les seize & le Parlement tronqué & fit proclamer le cardinal de Bourbon, roi de France, sous le nom de Charles X, celui-ci était détenu à Chinon depuis le drame de Blois & en fut libéré par son neveu pour la somme de 22 000 écus & transféré à Fontenay-le-Comte. Le cardinal lui-même reconnu son neveu comme roi légitime & mourut quelques mois plus tard.
Tantôt énergique, distribuant les prodigalités & les gaillardises, tantôt abattu & songeant à se replier derrière la Loire, il fallut l’interpellation d’Anne d’Anglure, baron de Givry, fidèle parmi les fidèles « Qui vous croira roi de France quand il verra vos ordonnances datées de Limoges ? », cela suffit à la ragaillardir & à ne pas abandonner cette noblesse de Normandie & de Picardie qui s’était ralliée à lui.
- Arques
Après avoir tenté de rencontrer le duc de Mayenne au bois de Boulogne, il constata que la confrontation était inévitable. Il décida donc de diviser son armée réduite à 10 500 hommes, en trois corps : le premier commandé par Longueville & La Noüe devait rallier la Picardie ; le deuxième conduit par le maréchal d’Aumont pour la Champagne & le troisième sous son commandement, partirait pour la riche Normandie, dans l’espoir de trouver, nourriture, fourrage & renfort d’Angleterre.
Le ralliement d’Aymar de Clermont-Chaste, gouverneur de Dieppe & commandeur de Malte, lui permit de gagner un port stratégique, où il fut accueilli chaleureusement « Mes amis, point de cérémonies ! Je ne veux que vos amitiés, bons pains, bon vin & bon visage d’hôtes ! » s’écria-t-il. Il confia que c’était le premier jour, qui lui fit goûter le bonheur d’être roi de France ; la noblesse normande le suivit sans poser de condition.
Le duc de Mayenne, avec 35 000 hommes, traversa la Seine à Vernon.
Henri IV, n’ayant pas réussi à prendre Rouen, comprit que c’était aux environs de Dieppe qu’aurait lieu l’affrontement, se sachant en infériorité, il choisit judicieusement le champ de bataille, d’où il pourrait attendre l’ennemi, s’appuyant sur le quadrilatère formé par le château de Dieppe, la forteresse d’Arques, les hauteurs dominant la vallée de l’Eaulne & le quartier du Pollet.
Henri IV à la bataille d’Arques, 21 septembre 1589, peinture à l’huile, auteur inconnu, vers 1590, Musée de l’Histoire de France au château de Versailles
Le 15 septembre, quittant Eu, Mayenne s’avança jusqu’à Neuville, son aile gauche, gagnant Thibermont pour attaquer Arques. Henri IV, aux Pollet avec neuf-cents hommes, résista avec vigueur contre les assauts des ligueurs, qui déplorèrent six-cents pertes.
Ayant échoué, Mayenne se porta sur Martin-Église, face aux retranchements des royaux qui s’appuyaient à flanc de côteau sur la forêt & la maladrerie Saint-Étienne. Bien entendu, le roi était présent, plaçant son infanterie en arrière des fossés, avec en appui sa cavalerie & les Suisses en réserves.
Le 21, à quatre heures, l’attaque sembla imminente & alors que le roi prenait son déjeuner, on lui apporta un prisonnier d’importance, Jean de Faudouas, maréchal de camp du duc de Mayenne, le roi l’embrassa au grand étonnement de tous (le comte était gascon). Celui-ci, l’assura qu’il aurait sous peu, 30 000 hommes à pied & 10 000 cavaliers sur lui & qu’il ne voyait aucune force propre à résister à une telle armée, il eut cette réponse : « Vous ne les voyez pas toutes, monsieur de Belin, car vous ne comptez pas Dieu, ni le bon droit qui m’assistent ! »
Les combats ne tardèrent pas & une première charge de cavalerie fut repoussée, du côté des retranchements, une masse compacte de lansquenets criaient qu’elle se rendait, mais aussitôt l’épaulement franchi, ils se jetèrent sur les hommes du roi, un colonel mit presque l’épée à la gorge du roi & le maréchal de Biron évita de peu la mort. Une nouvelle charge repoussa les troupes vers les Suisses, qui tinrent bon & renvoyèrent la charge ; lorsque le jour se leva, le brouillard se dissipa & l’artillerie d’Arques fit feu & les arquebusiers de Dieppe dirigeait par le comte de Châtillon repoussèrent la cavalerie ligueuse, qui se débanda & s’enlisa dans les marais.
Au coucher du soleil, Mayenne venait de perdre 600 hommes, contre une centaine ; Henri IV, n’avait pas les moyens de le poursuivre & regagna Dieppe.
Le 25, les ligueurs tentèrent de prendre la ville, mais furent repoussés, il en est de même d’Arques ; apprenant le débarquement des Anglais & des Écossais, ils se retirèrent en Picardie.
Une première victoire venait d’être remportée & quelle victoire, mais Paris restait l’objectif…