La justice est une des expressions les plus puissantes du pouvoir. La faculté pour une autorité de faire justice lui cause une dette immense envers la société qu’elle gouverne. L’acte de juger est purement celui d’approcher le plus que possible de la vérité. A la manière que le but de son pouvoir est de mener les âmes de ses sujets au Salut, le souverain s’efforce de donner une justice qui s’approche le plus que possible de celle de Dieu. C’est toute l’expression de la justice du XII° siècle, qui hérite des institutions juridictionnelles carolingiennes ; à une époque où le souverain s’efforçait de se conformer à l’exemple des mirroires de princes.
Les juges sont chargés de la mission de disposer sur les affaires locales et courantes, ils sont les héritiers directs des prêteurs romains, chargés d’instruire les procès. Leur office va cependant s’étendre au fil des siècles, passant de la justice comtale aux cours de justices propres et finalement aux parlements. La mission de justice du Roy s’en trouve absorbée par une magistrature qui se substitue à lui par nécessité, tant l’histoire du contentieux n’est jamais que l’engorgement progressif des voies de justice, nécessitant la création de nouvelles institutions. La mission du juge est essentielle et fait peser sur lui le poids d’une conscience dont la plus grande peur serait de donner un jugement injuste.
La justice de l’Occident Chrétien était toute empreinte de ce scrupule systématique du juge dans sa décision, hérité de cette règle du prêteur romain : la peine qui sera infligée injustement se verra appliquée à celui qui l’a prononcé après sa mort. De cette conscience des enjeux immenses qu’implique l’exercice de la justice, découle cette très haute idée du droit qu’ont eu les juristes royaux au fil des siècles jusqu’à la révolution française.
Contrairement à l’image d’épinal que dresse le bas folklore républicain de ce qu’a été la justice avant la révolution, brossant plus d’un millénaire d’histoire du droit à coup de modernisme débilitant ; il convient de remarquer que cette justice comporte à bien des égards des caractéristiques bien plus vertueuses en comparaison à celle de la république qui n’en est en définitive qu’un embryon déformé.
D’aucuns pourraient affirmer que le droit républicain est fermé en comparaison au droit de l’Ancien Régime. La différence fondamentale entre ces deux droits est celle du grand schisme juridique qui a eu lieu entre le XVI° siècle et la révolution : la séparation du positivisme et du naturalisme.
Le positivisme exalte la loi en tant que disposition émanant de l’arbitraire humain, tandis que le naturalisme défend la conception d’une loi immuable héritée de Dieu et de la raison dont l’école de Saint Thomas d’Aquin est la plus parfaite expression.
La justice de l’Ancien Régime héritait donc pour sa majeure partie d’un droit naturel transmis au fil des âges. Pour dresser un regard sur l’étendue de cette justice, il convient de se demander quels étaient les outils de droit à la disposition du juge sous la Royauté.
Les sources du droit de l’Ancien Régime sont vastes : pour livrer sa décision, le juge s’appuyait principalement sur la loi naturelle, c’est-à-dire la droite raison. Il était fréquent que le juge dispose en équité ; la liberté ainsi laissée aux magistrats exigeait qu’ils soient érudits des sciences morales et philosophiques ; c’est-à-dire du thomisme. C’est sur ce point que la notion de justice est la plus distendue entre la Royauté et la république. Les lois des 16 et 24 août 1790 visant création de la magistrature de la république avaient pour objectif de cantonner l’office du juge à un simple rôle d’automate de la loi. La révolution a entendu substituer à la haute mission du juge une loi qui soit à la fois générale et spéciale, et que ce dernier n’aurait qu’à répéter. Le juge républicain est soumis à la loi positive, seule votée par l’assemblée nationale à laquelle il ne peut apporter des interprétations qu’au titre des normes supérieures toujours positives. Seule rescapée de la révolution, la jurisprudence connaît une utilisation par la magistrature qui se limite pour le juge à s’inspirer de l’interprétation d’un autre juge toujours cantonnée à la légalité républicaine.
Outre la loi naturelle, le juge d’Ancien Régime disposait d’autres outils purement juridiques afin de disposer sur les cas qui lui étaient soumis. La coutume, pratique répétée devenue loi pour ceux qui la pratiquent, est le plus souvent une disposition attachée à la localité et constitue une importante source du droit au nord de la Loire. Les droits savants, c’est à dire la Lex, ou droit romain, ainsi que le droit canonique constituaient une grande partie des lois régissant les provinces méridionales du Royaume. Les édits royaux enregistrés par le parlement faisaient plus rarement l’objet d’un appui au jugement étant donné leur caractère souvent général, ce dernier étant dérogé par le spécial, et de là même par les autres sources à disposition du juge. Les dernières grandes sources du droit d’Ancien Régime sont les Constitutions du Royaume, dégagées entre le XV° et le XVI° siècle par les juristes du Parlement de Paris. Ces dernières ne sont que très peu voire jamais invoquées par les juges du fond ; elles font cependant l’objet de nombreux travaux du Parlement.
A côté de cette véritable diversité de lois applicables, tant positives que naturelles, on ne peut éviter de voir les sources du droit républicain avec un certain mépris. Ces dernières sont taries et ne se résument qu’à une nomenclature hiérarchique de lois supérieures aux autres émanant toutes des décisions d’un arbitraire législatif qui a pris telle décision à un temps donné. A peine la loi est-elle promulguée qu’elle est déjà hors d’âge et ne peut connaître qu’un vieillissement. De ce vieillissement découle le phénomène d’inflation législative ainsi que de toutes les tribulations que connaît à l’heure actuelle la justice républicaine. Tout cela n’est jamais que le résultat du fourvoiement d’une justice qui n’est plus consacrée au bien commun mais limitée dans l’espace d’une loi aussi incapacitante que dépassée. De là il n’est pas étonnant de voir un décalage se former entre le légal, qui n’est de manière désavouée qu’une fiction, et la réalité, autrement la nature qui s’exprime bien au-delà de ces cadres artificiellement désignés.
Certains oseront reprocher à la justice de l’Ancien Régime des institutions limitées et vétustes; mais c’est bien méconnaître la réalité de ces institutions. De la Royauté à la république, aucune institution juridictionnelle n’a été retirée ou déplacée. Les tribunaux et cours d’appel siègent là où les parlements siégeaient. En lieu et place des juridictions de dernier ressort actuelles, la Cours de Cassation et le Conseil d’Etat, on trouve des institutions à la mission semblable : le Parlement de Paris, la Cour souveraine, la Cour des aides, et une juridiction supplémentaire avec la Chancellerie Royale qui exerçait la dernière des justices, celle du Roy, composée essentiellement de rémissions.
Dire que la justice d’Ancien Régime était la meilleure des justices serait un abus de langage. Cette expression est à attacher à la justice du XII° siècle, plus simple et dont le sens des peines n’était pas encore corrompu par la redécouverte du droit romain. En revanche la justice de la Royauté est une justice plus proche des justiciables et dont l’expression ne nécessite pas une connaissance approfondie des textes en vigueur puisqu’il n’y en a en réalité que très peu.
Là où le juge républicain juge en droit, le juge d’Ancien Régime juge en Raison ; et la justice qui procède de cette dernière sera infiniment plus rapprochée du Bien Commun que n’importe quel autre type de justice.
Et pour que vive la Justice, vive le Roy !
Sources :
– Guillaume Bergerot, « Oriatur in diebus vestris justitia et abundantia pacis » : La mission de justice du roi de Louis VI à Philippe II Auguste, 2019, https://www.theses.fr/2019PA020035
– Philippe Pichot Bravard, Le droit naturel: Fonder l’ordre juste Histoire, actualité, enjeux, Ichtus, 2018